S’engager contre les violences conjugales en entreprise

Le sujet des violences conjugales émerge ces dernières années au sein des entreprises. Il arrive que l’on se questionne sur la place que les organisations doivent prendre : est-ce bien une question qui les concernent ? Est-ce un sujet qui relève de la vie privée ? S’engager oui, mais comment ?

Au vu du nombre de personnes concernées (1 personne victime sur 2 est salarié·e) – et des conséquences humaines, sociales et économiques qu’elles posent – l’entreprise a bien un rôle à jouer. Mais dès lors, il n’est pas toujours évident de savoir comment agir contre les violences conjugales.

Dans cet article, nous vous donnerons des clefs pour vous aider à repérer au mieux les violences conjugales et savoir comment vous pouvez (ré)agir face à celles-ci : en tant que collaborateur·rice mais aussi en tant que manager et RH. Nous verrons également la manière dont vous pouvez engager votre entreprise sur le sujet.

Des signaux à observer…

S’il existe de nombreuses façons de faire face à un événement, en fonction de son histoire ou du contexte de vie dans lequel on se situe, les stratégies de l’agresseur·se demeurent malheureusement souvent les mêmes. Elles vont avoir pour conséquence différentes manifestations comportementales, émotionnelles et physiques chez les victimes : celles-ci peuvent s’observer et constituer des indices vous permettant de détecter les violences.

L’estime de soi peut se retrouver dégradée en raison des critiques et des dévalorisations permanentes effectuées par l’agresseur·se. Par ailleurs, on peut repérer de la confusion, liée aux manipulations psychologiques et à une communication floue et indirecte. Il est également courant d’observer chez les victimes de la culpabilité et de la honte puisque l’agresseur·se fait porter à la victime la responsabilité des violences.

Le climat d’insécurité mis en place autour de la victime et la réalité du danger qu’elle court va susciter chez elle de la peur et/ou de l’anxiété. Cette émotion doit tirer la sonnette d’alarme, ce n’est pas normal de ressentir de la peur : elle intervient lorsque l’on se sent en danger. Il arrive aussi de se sentir irritable, en colère ou de déborder émotionnellement. ​A contrario, et cela peut paraître moins évident : les victimes peuvent ne manifester aucune émotion, pourtant parfois en témoignant d’évènements graves. Cela n’est pas nécessairement le signe qu’il ne se passe rien ou que ce n’est pas grave. Cela signifie plutôt que la victime s’est mise en retrait vis-à-vis de ses émotions et qu’elle est probablement en situation de dissociation psychique.

D’un point de vue comportemental, les personnes peuvent être harcelées par le·la conjoint·e pendant leur temps de travail : par exemple, il·elles peuvent recevoir sans cesse des appels ou des SMS. Cela peut également être le cas des collègues de travail. Parfois même, la victime peut être retenue à domicile par le·la conjoint·e et ne peut pas se présenter au travail. A l’inverse, elle peut se présenter sur le lieu de travail lorsque cela n’est pas prévu pour éviter les violences. Ainsi, l’absentéisme et le présentéisme sont des signaux forts. De la même manière, certain·es salarié·es peuvent être isolé·es socialement : il·elles ne viennent jamais aux événements conviviaux en dehors du temps de travail ou parfois même leur conjoint·e vient les chercher chaque soir à heure fixe. Il y aussi les difficultés de concentration, les oublis et les erreurs dans les rendez-vous et les lieux, signes à nouveau de la dissociation psychique…

Enfin, il y a les manifestations les plus visibles, celles qui sont physiques : traces de coup, bleus, blessures…

Des clefs pour réagir

Si j’observe quelque chose

Tout d’abord, il ne faut pas paniquer si l’on observe un signe isolé, c’est plutôt leur accumulation et le changement d’attitude de la personne qui est inquiétant. En général, toute rupture brutale dans le comportement d’un individu doit alerter.

Si c’est le cas, il ne faut pas hésiter à aller voir la personne concernée et lui demander comment elle va. Il est important de trouver un moment où la personne est seule et lui parler sans rien affirmer, simplement en se basant sur nos observations. Lui signifier par exemple « J’ai l’impression que tu ne te sens pas bien en ce moment, je n’ai confié mes doutes à personne. Es-tu en sécurité chez toi ? » « Si tu as besoin qu’on en parle je suis là pour toi. » « Si tu souhaites en parler avec le médecin du travail, je peux t’accompagner à l’infirmerie... N’hésite pas à me solliciter. »

Si une personne vient se confier à moi

Lorsqu’une personne vient se confier à vous concernant les violences conjugales, il est important de l’écouter avec bienveillance et non-jugement. L’idée est de détricoter les différentes stratégies de l’agresseur·se notamment en rompant avec l’isolement ainsi qu’en revalorisant et déculpabilisant la victime. Dire par exemple « Je te crois », « Tu as bien fait de venir m’en parler, cela n’a pas dû être facile », « Tu n’es pas seul·e, je vais t’aider à trouver des solutions. », « Il·elle n’a pas le droit de te faire ça, c’est puni par la loi ».

Il est également possible d’introduire la possibilité d’en parler en interne et/ou en externe. Au sein de l’entreprise, certain·es personnes peuvent l’aider à entreprendre des démarches ou lui proposer des aménagements de temps de travail. Il y a notamment la médecine du travail, l’assistant·e social·e d’entreprise, les RH, le·la manager, les représentant·es du personnel ou encore le·la référent·e harcèlement sexuel et agissements sexistes.

Par ailleurs, de nombreuses ressources existent en dehors de l’entreprise pour l’accompagnement des personnes victimes de violences conjugales. Le premier réflexe à avoir lorsque l’on a des doutes sur la marche à suivre, c’est d’appeler le 3919 par téléphone ou de prendre contact avec le chat d'En Avant Toutes. En cas de danger grave et imminent, il ne faut pas hésiter à contacter directement la police au 17 et/ou le SAMU au 15. Par ailleurs, d’autres structures peuvent aider : le Centre Communal d’Action Sociale, les points d’accès aux droits, les CIDFF (Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles), les associations d’aide aux victimes…

Il est important de maintenir le lien de confiance, tout en incitant le·la salarié·e à en parler aux professionnel·les de l’entreprise qui pourront lui apporter une aide concrète pour son quotidien.

Si vous êtes membre des ressources humaines, vous pourrez également proposer des ajustements des conditions de travail plus favorables à ce·tte salarié·e et l’informer de ce qu’il est possible de faire. Il existe des dispositions spécifiques lorsqu’un·e salarié·e est victime de violences conjugales : la mise à disposition immédiate de son épargne salariale, la possibilité de toucher les allocations chômage même en cas de démission (lorsque la personne a porté plainte) et la mise en place d’un protocole spécifique si il·elle bénéficie d’une ordonnance de protection. Celle-ci s’appliquera aussi au lieu de travail, l’employeur devra donc prévenir les autorités si l’auteur·rice des faits de violence se rend sur ou près du lieu de travail. Il en va de même si celui-ci ou celle-ci cherche à contacter la victime sur son lieu de travail (appels, mails…).

Si vous êtes manager et que vous avez connaissance des violences, vous pouvez vous montrer proactif et proposer à ce·tte salarié·e des entretiens réguliers. Il est important d’instaurer un suivi une fois que la personne est venue se confier : il est possible qu’elle n’ose pas revenir vers vous pour évoquer la situation à nouveau. Par ailleurs, ne restez pas seul·e : c’est une situation difficile, vous pouvez en parler avec vos RH ou la médecine du travail.

Enfin, il est important de souligner que de dénoncer la mise en danger d'une personne adulte vulnérable (à savoir qu'elle n’a pas la capacité de se protéger) est une obligation légale. Une personne peut être considérée comme vulnérable par exemple si elle est en situation de handicap, qu’elle est âgée ou enceinte.

Si je suis témoin d’une scène de violence

Lorsqu’une personne assiste à des violences, peu importe son rôle ou sa fonction dans l’entreprise, elle est tenue d’agir.

Tout d’abord, il est important de se mettre en sécurité et en fonction du degré de gravité et de dangerosité de la situation, il faut contacter la police au 17 ou par SMS au 114. Par ailleurs, en cas d’urgence médicale, vous pouvez appeler le SAMU au 15. De plus, sauf si cela vous met en danger, vous pouvez vous rendre auprès de la victime pour la rassurer et la soutenir. Une fois que cette dernière a été prise en charge, il est nécessaire d’informer les services RH et les managers de l’événement grave qui vient de se produire. Il est pertinent de témoigner par écrit de la scène à laquelle vous avez assisté·e pour appuyer la plainte de votre employeur.

Si vous êtes membre des ressources humaines, à la suite de l’événement, vous devez porter plainte au nom de l’entreprise. Cette dernière pourra ainsi se constituer partie civile afin d’accéder aux pièces du dossier, participer aux audiences et soutenir le·la salarié·e victime. Par ailleurs, il est nécessaire de réaliser une déclaration d’accident de travail concernant le·la salarié·e agressé·e. Si d’autres personnes ont été impactées (les témoins notamment), vous pouvez mettre en place une cellule de crise pour les accompagner.

Au retour de la personne victime – en plus de vous assurer que tout va bien pour elle – vous pouvez mettre en place des moyens pour la protéger et garantir son maintien dans l’emploi : service de sécurité, surveillance policière à proximité du lieu de travail… N’oubliez pas de tenir informer les salarié·es des mesures qui auraient été mises en place.

Si vous êtes manager, il est important d’expliquer les faits à votre équipe. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails, mais cela permettra d’éviter les bruits de couloir et de maintenir la cohésion d’équipe. Ensuite, il est important d’expliciter les mesures qui vont être mises en place pour sécuriser le lieu de travail afin de rassurer vos collaborateur·rices. Par ailleurs, une fois le retour du·de la salarié·e agressé·e, vous pouvez lui proposer un temps d’échange et lui permettre d’avoir un espace où il·elle pourra revenir sur les évènements mais aussi évoquer les possibilités d’aménagement de poste en termes de tâches et d’organisation du travail. N’étant pas un·e professionnel·le de santé, vous pouvez également lui proposer de rencontrer la médecine du travail si ce n’est pas déjà le cas.

Peu importe votre rôle dans l’entreprise, il est tout à fait probable et normal que cette situation vous ait affecté. Vous pouvez vous sentir choqué·e, triste ou en colère. N’hésitez pas à contacter la médecine du travail, votre médecin généraliste ou encore un·e psychologue pour vous aider à gérer les différentes émotions que cela a pu générer en vous. Par ailleurs, vous pouvez également vous informer sur le sujet des violences conjugales à travers des livres, podcasts et films.

Des idées pour engager mon entreprise

Avant toute chose il est important de déterminer, et ce avant qu’une situation difficile se présente, une procédure claire en cas de situation de violences conjugales. Pour ce faire, il est nécessaire d’identifier au sein de l’entreprise les personnes ressources​ sur le sujet (la médecine du travail, les assistant·es sociaux·les, les RH…). Vous pouvez également déterminer un·e ou des référent·es qui soient sensibilisé·es sur le sujet et en mesure d’agir. Par ailleurs, ces sujets peuvent être discutés lors des accords d’entreprise : vous avez la possibilité d’inclure les violences conjugales dans les politiques d’égalité professionnelle. Par exemple, une grande entreprise française a négocié 3 jours d’autorisation d’absence pour le dépôt de plainte, les convocations aux tribunaux et les rendez-vous en association.

D’autre part, pour que chacun·e soit acteur et actrice de la prévention et l’identification des violences, il faut sensibiliser et former sur cette question.

Il est également possible de mettre en place des procédures RH sur le sujet et de réfléchir à des actions spécifiques à la problématique des violences conjugales. Par exemple, l’entreprise peut mettre en place des jours de congés spécifiques, des aménagements d’horaires de travail ​, revoir le recours au télétravail pour des salarié·es qui serait fragilisé·es à domicile​ mais aussi prévoir des mobilités géographiques interne après la séparation.

Par ailleurs, nous savons que les personnes qui vivent des violences vont être vulnérables sur le lieu de travail et ce particulièrement au moment de la séparation. Pour préparer au mieux cette dernière, les personnes victimes peuvent avoir un casier à disposition pour les effets de première nécessité (papiers importants, quelques vêtements...) afin que la personne ait accès à ses affaires si elle a besoin de quitter le domicile de façon urgente​.

Enfin, pour pouvoir quitter le·la conjoint·e violent·e, il faut avoir un nouveau logement. Les entreprises sont en mesure de proposer des hébergements d’urgence, notamment en ayant un partenariat avec l'Action logement. Elles peuvent aussi proposer une aide financière ou établir des partenariats avec des associations​.

L’entreprise n’a pas vocation à être un lieu d’accompagnement mais plutôt un lieu d’orientation pour les victimes. Les violences conjugales doivent être prises en charge de façon pluridisciplinaire et chaque maillon de la chaîne aura son rôle à jouer et ses limites. De son côté, l’entreprise peut offrir les ressources et le temps nécessaire pour permettre le départ du domicile conjugal et une séparation durable avec le·la conjoint·e violent·e. Des moyens supplémentaires donc, dans un parcours qui pourra être semé d’embûches…

Si vous êtes victime ou témoin de violences conjugales, vous pouvez contacter le 3919.

Si vous êtes en danger, contacter la police au 17 ou au 114 par SMS. 

Marie-Sixtine Bergeret

Psychologue clinicienne et Consultante EQUILIBRES