Zéro stéréotype pour zéro discrimination, est-ce réellement possible ?
En 2020, des chercheur·ses en psychologie sociale ont pu observer auprès de 768 participant·es chinois·es que ces dernier·es étaient moins enclin·es à recruter -et donc plus favorables à discriminer -des candidat·es de signe astrologique Vierge lors de simulations de recrutement. La raison ? Les signes astrologiques font partie intégrante de la culture chinoise et les personnes Vierge sont stéréotypées comme étant désagréables (Lu et al., 2020)[1].
Cette étude, comme tant d’autres en psychologie sociale, montre bien la façon dont les stéréotypes, de tous types, peuvent entraîner des pratiques discriminatoires, notamment dans le monde professionnel (Colella & King, 2018)[2]. Si vous êtes Vierge et que vous lisez cet article, soyez rassuré·e, cette même étude a également montré que ce stéréotype est erroné et que la discrimination sur la base des signes astrologiques est irrationnelle : ces derniers ne prédisent ni votre personnalité, ni votre performance au travail (Lu et al., 2020)[1].
En cette journée Zéro Discrimination[3], on pourrait vouloir éradiquer l’ensemble de nos stéréotypes. Mais est-ce aussi simple que ça ?
En lisant les résultats de l’étude mentionnée plus tôt, il vous est sans doute venu à l’esprit que le mode de pensée des participant·es est absurde et qu'en tant que professionnel·es, ce genre de raisonnement ne vous arriverait jamais...et pourtant ! Chacun·e d'entre nous, du fait de l’ancrage important des stéréotypes dans notre fonctionnement humain, peut être en réalité influencé·e par ces derniers. Imaginer que l'on est dépourvu de stéréotypes serait tomber dans ce qu’on appelle le biais de la tâche aveugle ou le biais d’angle mort, soit le fait de croire que l’on est plus apte à raisonner de façon neutre et objective qu’autrui, ce qui n’est pas nécessairement vrai (Pronin, Lin & Ross, 2002)[4].
Pourquoi est-il si difficile de se libérer des stéréotypes ?
On ne s’en rend pas nécessairement compte, mais la quantité d’information que l’on doit traiter à chaque instant pour agir et réagir est astronomique. Notre cerveau doit prendre en compte chaque objet dans la pièce où l’on se trouve, la lumière et les sons, les personnes qui nous entourent, les informations gardées en mémoire, etc. Or, notre cerveau, aussi incroyable soit-il, ne peut traiter toutes ces informations.
Les stéréotypes, ce sont des croyances ou des suppositions généralisées sur les caractéristiques des membres d’un groupe social (Banaji, 2002)[5]. Ces croyances sont formées par notre environnement social, de façon implicite : notre éducation, notre culture, les médias, ce que nos pair·es nous racontent… À noter tout de même que ces croyances peuvent être négatives comme positives.
Par exemple, les Vierge sont désagréables ou bien organisé·es. En ça, les stéréotypes simplifient notre perception et notre compréhension du monde, pour pouvoir traiter les informations plus facilement. Car il est plus simple de considérer tous·tes les Vierge comme identiques, que de prendre en compte chacune de leurs différences inter-individuelles. Les stéréotypes viennent donc de notre besoin fondamental de catégoriser et de simplifier le monde qui nous entoure afin de traiter les informations plus rapidement. Ainsi, aucun individu ne peut se dire dépourvu de stéréotypes : ils font partie intégrante de notre fonctionnement. Les éliminer n’est donc pas si simple que ça.
Il est important de noter que les stéréotypes s’activent dans notre mémoire dès l’instant où nous faisons face à un membre d’un groupe stéréotypé (Banaji, 2002)[4]. Et ce, de manière inconsciente et sans que nous nous en rendions compte, même si nous sommes en désaccord avec les stéréotypes. Si je vous demande immédiatement, sans vraiment réfléchir, d’associer des adjectifs pour décrire une femme, peut-être aurez-vous en première idée les stéréotypes associés aux femmes tels que « bienveillante », « douce », …
Un autre exemple est illustré dans une publicité d’Always où l’on demande aux participant·es de « courir comme une fille ». De façon instinctive, ces dernier·es se mettent à courir de façon caricaturale, illustrant les stéréotypes de fragilité et faiblesse liés à la féminité [6]. C’est donc aussi ce caractère automatique et inconscient qui rend aussi les stéréotypes si difficiles à éviter.
En clair, les stéréotypes, en raison de leur universalité et de leur place inhérente au sein de notre fonctionnement sont difficiles, voire impossibles à éliminer.
Pourtant, le problème des stéréotypes réside dans le fait qu’ils peuvent donc guider notre jugement et nos comportements envers autrui. Par exemple, si je crois que les Vierge sont désagréables, je vais avoir tendance à éviter et donc discriminer ces dernier·es. Ils peuvent également affecter notre propre fonctionnement, lorsque l’on est nous-même cibles de stéréotypes. C’est ce qu’ont pu montrer les études sur la notion de menace du stéréotype, soit la peur de confirmer un stéréotype sur son groupe (Spencer & Davies, 2016)[7].
La recherche et les interventions en psychologie sociale offrent tout de même un horizon optimiste : s’il paraît impossible d’éliminer complétement les stéréotypes, il est possible de réduire leur influence délétère sur nos comportements et nos relations avec autrui.
Dépasser les stéréotypes pour plus d’inclusion
La première étape pour dépasser les stéréotypes, c’est tout simplement d’en avoir conscience. Ce qui permettra de mieux les détecter et donc de les réduire. Vous pouvez notamment vous « amuser » à prendre conscience de vos stéréotypes et biais inconscients grâce à l’Harvard Implicit Association Test (Greenwald, McGhee & Schwartz, 1998) [8]. De même, vous pouvez vous entraîner à prendre conscience des stéréotypes dans votre environnement, en analysant par exemple les publicités.
Une seconde étape pour limiter l’impact des stéréotypes passe par la prise de conscience que nous avons différents modes de pensée et de traitement de l’information. Selon le psychologue Daniel Kahneman (2011)[9], nous avons deux modes de pensée :
- 98% du temps, nous mobilisons un mode de pensée rapide ou ce qu’il appelle le système 1, qui nous permet de traiter des informations rapidement, de façon automatique et sans effort, pour pouvoir agir ou prendre une décision dans un temps très bref. Ce mode de pensée s’appuie notamment sur nos affects, notre instinct…mais aussi nos stéréotypes.
- Le reste du temps, nous faisons appel à un mode de pensée lent ou ce qu’il appelle le système 2, plus analytique, plus intentionnel et faisant appel à notre raison. Il demande plus de ressources attentionnelles et cognitives, il faut donc faire plus d’efforts pour le mobiliser. Cependant, il permet de limiter le recours à des stéréotypes et limite également les biais dans notre raisonnement.
Mais au-delà de la responsabilité individuelle, ce sont également des transformations sociales qui, selon les professeures en psychologie sociale Anne Koening et Alice Eagly [10], vont permettre la déconstruction des stéréotypes. Selon la Social Role Theory, les stéréotypes sont construits à partir de ce que l’on observe et ce que l’on nous rapporte de la réalité. Par exemple, si j’observe que la part d’hommes travaillant dans les métiers du numérique est bien supérieure à la part de femmes[11], mon stéréotype va se construire sur l’idée que les hommes disposent de connaissances et compétences en numérique que les femmes n’ont pas. Promouvoir la place des femmes dans ces métiers permettrait ainsi d’éviter un stéréotype en défaveur des femmes. En clair, pour lutter contre les stéréotypes, c’est également sur notre réalité sociale et la perception de celle-ci, qu’il faut agir (Koening & Eagly, 2014). Et c’est en cela que les démarches en faveur de la diversité et de l’inclusion au sein des entreprises ont une réelle portée sociale et sociétale.
C’est pour cela que les entreprises ont tout intérêt à agir en faveur de la diversité et de l’inclusion au sein de leur organisation. Elles peuvent également jouer un rôle clé dans la construction mais aussi la déconstruction des stéréotypes.
Il est donc nécessaire, avant chaque décision ou action importante, de faire un pas de côté et d’analyser l’ensemble des informations. Et ce, en s’assurant que l’on dispose de toutes ses ressources cognitives et attentionnelles (par exemple : éviter les distractions, éviter de prendre une décision importante dans un état de fatigue, …). Ainsi, même si nous avons tous·tes tendance à mobiliser par défaut le système 1, il est nécessaire, afin d’éviter les stéréotypes et les biais, de mobiliser nos efforts et de faire appel à notre système 2.
Aparté : Distinguer stéréotypes et biais cognitifs
Les deux notions sont souvent comprises comme un seul et même concept. Toutefois, malgré le fait qu’ils peuvent être liés, il est important de distinguer le stéréotype et le biais cognitif. Le stéréotype, c’est une croyance généralisée concernant les caractéristiques d’un groupe. Un biais cognitif peut quant à lui être défini comme une erreur dans le processus de raisonnement ou de décision. Le stéréotype concerne notre perception des autres, tandis que le biais concerne notre traitement de l’information en général.
Toutefois, le stéréotype peut causer un biais dans notre raisonnement. Par exemple, si mon stéréotype concernant les Vierge est construit sur l’idée que ces dernier·es sont organisé·es et que je me considère moi-même comme organisé·e, je vais peut-être avoir tendance à favoriser les Vierge par biais de similarité. Le biais de similarité étant la tendance à privilégier les personnes qui nous ressemblent (Becker, Medjecovic & Merkle, 2019) [12].
Riananja Andriamifidy
Consultant stagiaire
EQUILIBRES
Sources :
[1] Lu, J. G., Liu, X. L., Liao, H., & Wang, L. (2020). Disentangling stereotypes from social reality: Astrological stereotypes and discrimination in China. Journal of Personality and Social Psychology, 119(6), 1359–1379. https://doi.org/10.1037/pspi0000237
[2] Colella, A.J. & King, E.B.. (2018). The Oxford handbook of workplace discrimination. Oxford Library of Psychology, https://doi.org/10.1093/oxfordhb/9780199363643.001
[3] La journée « zéro discrimination » est une journée internationale instituée par l'ONUSIDA et qui se commémore tous les 1ers mars de chaque année. Elle permet de créer un mouvement de solidarité internationale afin de mettre fin à toutes formes de discrimination.
[4] Pronin, E., Lin, D. Y., & Ross, L. (2002). The Bias Blind Spot: Perceptions of Bias in Self Versus Others. Personality and Social Psychology Bulletin, 28(3), 369-381. https://doi.org/10.1177/0146167202286008
[5] Banaji, M. R. (2002). Stereotypes, social psychology of. International encyclopedia of the social and behavioral sciences, 15100-15104. https://web.archive.org/web/20030809025748id_/http://www.fas.harvard.edu:80/~mrbworks/articles/Banaji_ip_PERG.pdf
[6] Publicité Always : Comme une fille. (2014) http://www.culturepub.fr/videos/always-comme-une-fille/
[7] Spencer, S. J., Logel, C., & Davies, P. G. (2016). Stereotype threat. Annual review of psychology, 67, 415-437. https://doi.org/10.1146/annurev-psych-073115-103235
[8] Greenwald, A. G., McGhee, D. E., & Schwartz, J. L. K. (1998). Implicit Association Test (IAT) [Database record]. APA PsycTests. https://doi.org/10.1037/t03782-000
[9] Kahneman, D. (2011). Fast and slow thinking. Allen Lane and Penguin Books, New York.
[10] Koenig, A. M., & Eagly, A. H. (2014). Evidence for the social role theory of stereotype content: Observations of groups’ roles shape stereotypes. Journal of Personality and Social Psychology, 107(3), 371–392. https://doi.org/10.1037/a0037215
[11] Aujourd’hui, la part de femmes exerçant dans le numérique est de 23% (INSEE Références « Emploi, chômage, revenus du travail », édition 2023)
[12] Becker, J., Medjedovic, J., & Merkle, C. (2019). The effect of CEO extraversion on analyst forecasts: Stereotypes and similarity bias. Financial Review, 54(1), 133-164. https://doi.org/10.1111/fire.12173