La tech au féminin : quand le retour aux origines s’impose

Etonnant revers de l’histoire, saviez-vous que la tech n’a pas toujours été un univers masculin ?

Dans les années 1950, on estime que les femmes représentaient entre 30 et 50 % des étudiant·es en informatique (1). Cette proportion se retrouvait dans les effectifs du secteur, à la suite de leurs études. (2)

Cette mixité – voire quasi parité au milieu du XXème siècle – n’est plus qu’un vieux souvenir aujourd’hui. En 2021, les femmes représentent moins de 10% des étudiants sur les bancs des écoles d’informatique françaises, selon l’enquête Gender Scan - Cabinet Global. Et sans surprise, cette orientation scolaire genrée vient se répercuter dans un secteur qui est désormais à 77% masculin en France. (5)

De l’autre côté de l’Atlantique, la situation est légèrement meilleure, mais n’est pas entièrement satisfaisante pour autant. En effet, le National Center for Women & Information Technology (NCWIT) fournit des données chiffrées sur la formation des Américaines en CIS (Computing and Information Sciences), indiquant qu’elles ne représentent que 21% des bachelor. (3) Si bien que la prestigieuse université de Berkeley a pris le parti des stéréotypes en intitulant son cours de numérique « The beauty & joy of computing » pour que davantage de filles s’y inscrivent. (4)

Le tournant historique de cette raréfaction des femmes dans le secteur ? L’arrivée des premiers PC dans les années 80, qui ont alors été commercialisés comme des produits de consommation s’adressant aux garçons et aux hommes (6). En parallèle, une industrie des jeux vidéo en plein essor - les premiers PC servant principalement à jouer – et qui vise majoritairement un public masculin, comme en témoigne cette compilation de publicités de gaming des années 80.

Les postes en programmation deviennent plus prestigieux, le secteur se masculinise.

Revenir à l’âge d’or de la mixité

Aujourd’hui la volonté des parties prenantes de revenir aux origines mixtes du secteur n’a de cesse d’être réaffirmée, et ce pour plusieurs raisons :

Premièrement, c’est un enjeu éthique. D’après les estimations récentes, 30% des emplois seront issus du numérique en France en 2030 : on ne peut se priver du vivier de talents féminins ! D’autant plus qu’il s’agit d’un secteur rémunérateur qui se porte bien, et dont le manque de mixité contribue ainsi en partie à creuser les inégalités de richesse et de pouvoir entre les femmes et les hommes dans la société.

Par ailleurs, les enjeux RH sont forts, aussi bien en ce qui concerne l’attractivité des talents que leur rétention. Phénomène démontré par de nombreuses études, la mixité est un moteur de bien-être dans les équipes de travail (+14% d’épanouissement dans les équipes mixtes que dans les équipes non-mixtes en France), de créativité et d’innovation, et ainsi un facteur de performance. A ce titre, les équipes mixtes affichent des performances 20 % supérieures à celles des équipes non-mixtes en France et de 23% supérieures à l’international selon le cabinet Global compact.

A l’inverse, le manque de mixité accentue la survenance de risques psychosociaux tel que le sexisme. Dans la Silicon Valley, le turnover des employées est deux fois plus important que celui des hommes, et l’une des explications de ce phénomène trouve sa source dans la bro culture (terme désignant la culture machiste de certains programmeurs de la Silicon Valley) impactant la santé mentale des femmes au travail. (7) Au quotidien, les stéréotypes de genre prennent différentes formes. Par exemple, une étude réalisée sur des femmes travaillant dans la Silicon Valley et ayant plus de 10 ans d’ancienneté dans le secteur, nous informe que 87% d’entre elles ont déjà constaté que certains de leurs collègues adressent leurs questions en priorité à leurs homologues masculins présumant par défaut que leurs collègues hommes sont plus compétents qu’elles.

Enfin, dernier enjeu - et non des moindres – le manque de mixité dans la tech (et de diversité !) a une conséquence sur la qualité des produits. C’est tout le débat que l’on voit apparaître ces dernières années autour des biais présents dans les algorithmes, et de la notion de responsabilité algorithmique. En 2018, l’informaticienne Joy Buolamwini a publié, en collaboration avec la chercheuse Timnit Gebru, un papier de recherche intitulé « Gender Shades ». Toutes deux détaillent la manière dont les biais raciaux et de genre imprègnent également les intelligences artificielles. Le constat est inquiétant : les machines identifient mieux les hommes que les femmes, et les blancs que toutes les personnes avec une peau plus foncée.
Force est de constater qu’une vraie mixité chez les développeurs et un mélange des expertises permettraient de prévenir, ou du moins de réduire, les biais, et ce dès la conception du produit.

Agir, oui, mais comment ?

Face à ces enjeux de taille, il est clair que les entreprises du secteur techno-numérique doivent continuer d’agir. Voici quelques bonnes pratiques à mettre en place ou développer, pour œuvrer, à leur niveau, à davantage de mixité :

Pour les jeunes starts up de la tech, il est souhaitable de penser la question de la mixité dès le début du projet au niveau de l’équipe, voire d’inclure l’égalité femme/ homme comme une valeur fondamentale de l’entreprise. Il est également recommandé de formaliser des mécanismes d’action positive le plus tôt possible pour éviter à l’avenir une forme de « dette de parité ».

Pour les entreprises plus matures, de petite ou de grande taille, il est possible de faire des partenariats avec des écoles de la tech spécialisées dans l’inclusion, de communiquer systématiquement ses offres d’emplois auprès de réseaux féminins, de miser sur une communication inclusive tant au niveau des visuels qu’au niveau de l’écriture des fiches de poste…

En interne et à l’externe, quel que soit leur taille, elles doivent veiller à promouvoir des rôles modèles féminins et ainsi contribuer à inspirer les femmes du secteur.

Elles doivent également s’assurer de la mise en place de process RH égalitaires structurant la trajectoire professionnelle (équilibre vie pro/ vie perso, promotion, rémunération, etc…)

Et enfin, sensibiliser l’ensemble des collaborateurs et collaboratrices aux stéréotypes de genre aura un impact fort sur le collectif de travail pour veiller ou prévenir les agissements sexistes.

La mise en place d’un certain nombre d’actions, réunies dans une politique égalité professionnelle, permettra ainsi à son échelle de remettre en lumière les talents féminins, pionnière dans le monde de la tech.

Pour finir, rappelons que l’enjeu de la mixité dans la tech ne peut être du seul ressort des entreprises ; ces dernières doivent agir, main dans la main avec les pouvoirs publics, notamment pour soulever les problématiques symboliques liées à l’orientation scolaire en amont de l’arrivée dans l’entreprise.

Emilie Fréchet

Consultante EQUILIBRES