La singularité détrônera l’inclusion
Depuis quelques années, le sujet de la diversité et de l’inclusion s’impose dans l’agenda des directions des Ressources Humaines. Les résultats du baromètre mené durant l’été 2022 par le groupe Human & Work auprès de DRH en France, Italie, Espagne et Allemagne confirment cette tendance : l’inclusion sera l’une des deux priorités de la feuille de route des DRH européen·nes en 2023, avec l’engagement des salarié·es. Mais que met-on derrière ce terme ? Les professionnel·les des RH ont vu croître de manière exponentielle les besoins d’actions ciblées ces dernières années. En plus des sujets dits « historiques » - tels que l’égalité femmes-hommes, le handicap -, des sujets plus récents comme l’inclusion des personnes LGBTQ+ et les problématiques de faits religieux ont fait leur apparition, suivis de près par l’employabilité des seniors, les aidants familiaux, les retours au travail après longue maladie et bien d’autres. Or, tous ces sujets ne s’envisagent pas de manière chronologique mais s’agrègent les uns aux autres, à la façon d’un millefeuille. On est alors pris de vertige lorsqu’il est question de les intégrer dans un agenda RH.
La mauvaise nouvelle, c’est que ce phénomène va s’accentuer dans les années qui viennent, et ce pour deux raisons. La première est que nous fabriquons de plus en plus de sujets d’exclusion. Les tribunes offertes par les réseaux sociaux poussent aux prises de position marquées et nourrissent les antagonismes ; les bouleversements technologiques et autres disruptions creusent l’écart avec de nombreux laissés pour compte. La seconde, c’est que le besoin de revendiquer une appartenance augmente dans des organisations où le lien physique s’étiole. Les résultats des premières études sur le « tout télétravail » ont fait état d’un déficit de relations informelles, nécessaires pour entretenir ce lien avec le collectif, et on a tous en tête des exemples d’onboardings ratés durant le COVID. Car l’appartenance ne se décrète pas : elle s’éprouve. On a donc un effet ciseau entre, d’un côté, de plus en plus de prétextes et de situations d’exclusion, et de l’autre, un besoin croissant d’appartenir à un collectif.
Mais la bonne nouvelle c’est que cela nous oblige à repenser notre paradigme ! Il y a quelques semaines, le champion paralympique Michaël Jeremiasz signait une tribune intitulée « STOP à l’inclusion » dans laquelle il précisait que « l’entreprise n’a pas à être inclusive. Elle doit être l’entreprise, cette organisation riche de talents divers permettant de créer une valeur sociale (un bien commun) autant qu’économique (un service pour tous) ». A travers ses mots, Michaël Jeremiasz nous interroge sur le postulat qu’induit intrinsèquement la notion d’inclusion en tant que processus d’intégration de personnes - a priori – exclues. Ainsi, les femmes, les personnes en situation de handicap, les homosexuels (pour ne citer que ces trois exemples parmi les vingt-six critères) seraient a priori en dehors du collectif constitué d’hommes hétérosexuels en bonne santé. Là aussi, on peut être pris de vertige à la vue du nombre considérable d’exclus de l’entreprise, obéissant à cette logique ! Croisez cela avec le temps et les budgets impartis aux sujets diversité et inclusion et vous aurez le sentiment d’être condamné·e à l’échec avant même d’avoir commencé. Inenvisageable, dans des entreprises ou organisations où la performance et l’impact sont au cœur des préoccupations.
ALORS, SI NOUS NOUS METTIONS DANS UNE LOGIQUE GAGNANTE DÈS LE DÉPART ?
Que se passe-t-il si nous bannissons le terme inclusion ? Nous sommes face à des individus divers qui ont tous et toutes, a priori, envie d’appartenir à l’organisation dans laquelle ils travaillent. Dès lors, les efforts à déployer ne seraient pas d’inclure une multitude d’ensembles B, B’, B’’... dans un ensemble A mais consisteraient à orchestrer toute cette diversité au sein d’un collectif. Facile à dire, mais comment ne pas tomber dans une cacophonie de besoins individuels ? C’est là qu’il faut être bien au clair sur le résultat souhaité. La prise en compte des caractéristiques individuelles ne signifie pas qu’il faille systématiquement s’adapter à chacune. Cela signifie d’avoir conscience, dans la conception de sa stratégie et dans son management, de l’existence et de la valeur ajoutée de la différence. Pour que cela soit possible, il faut travailler à la fois sur l’ouverture et la relation à l’autre mais également sur la dynamique collective. Pour fédérer autour d’elles, les entreprises doivent être des lieux expérientiels : des organisations apprenantes du bien vivre-ensemble au service du bien-travailler ensemble.
Aurélie Judlin
Directrice Générale d'EQUILIBRES