Les défis de l’interculturalité dans les entreprises en France

L’interculturalité est un concept qui nous est familier mais qui devient soudain très flou lorsqu'il s'agit d'en définir les manifestations au travail, notamment en France. Cette notion qui dépasse la simple combinaison des mots "inter" et "culturalité", trouve ses origines dans les années 1980 sous l’impulsion des Etats-Unis.

L’accélération de la mondialisation à l’origine de la vision actuelle de l’interculturalité

À cette époque, les avancées dans le domaine des transports et les révolutions en matière de communication ont convergé pour intensifier les interactions et les interdépendances entre les pays à l'échelle mondiale. Cela a permis aux entreprises d'explorer de nouveaux marchés internationaux et de nouer des relations commerciales avec des partenaires de nationalités et de cultures différentes. Cette évolution a créé alors un besoin urgent de développer la capacité à communiquer efficacement avec les différentes cultures dans lesquelles les entreprises opéraient.

Les États-Unis par leur influence culturelle, leur domination économique et leur présence géopolitique, ont donc été le fer de lance de cette approche de l'interculturalité, essentiellement centrée sur la création d'un environnement de travail inclusif par la communication et le langage. Cette approche du « management collectif », qui favorise une collaboration efficace entre les individus par la valorisation des richesses culturelles de chacun·e, nécessite cependant une adaptation en France.

Car même si, de nos jours, les aspects linguistiques et communicatifs de l'interculturalité restent des enjeux majeurs pour les entreprises opérant à l'échelle internationale,

il ne s'agit plus seulement de maîtriser les langues, mais aussi de comprendre le contexte socioculturel des pays dans lesquels les entreprises opèrent.

L’interculturalité souvent réduite à la vision américaine

Si l'on observe le panorama des pratiques de management interculturel en France, on constate qu'elles tendent à adopter une approche américaine du sujet, via la mise en place de formations promouvant de compétences centrées sur la communication telles que "évoluer dans un environnement interculturel", "travailler avec des collègues de différentes nationalités" ou encore “comprendre la culture de l'autre". Cependant, il est important de noter que la transposition du modèle américain trouve ses limites en matière d'adaptation et d'applicabilité. Elle contribue également à perpétuer certaines pratiques obsolètes ou inadaptées au contexte et à l’histoire français.

En effet, en France, la question interculturelle fait essentiellement "polémique" en raison des enjeux spécifiques qu’elle sous-tend. L’interculturalité est indissociable chez nous des questions ayant jalonnées notre histoire, notamment la politique de l'assimilation, de l'immigration et de notre passé colonial. Ainsi, dans l'inconscient collectif, cette question se résume soit à l'appartenance à une origine, une religion d’une part, soit à ce qu'on appelle l’"identité nationale" d’autre part. Si nous nous limitons à cette vision, nous passons à côté de ce qui fait la richesse de cette notion.

De l’interculturalité au management de la diversité culturelle

Nous avons vu, le modèle américain a longtemps été l'approche privilégiée et celle-ci a d'indéniables apports pour les équipes sensibilisées au sujet.

Cependant, l'enjeu aujourd'hui est de passer à une approche plus globale, à savoir le management de la diversité culturelle au sens large tant dans la sphère personnelle que professionnelle.

Cette transition présenterait de nombreux avantages pour les entreprises. Car si l'interculturalité met l'accent sur la coexistence et la compréhension des différentes cultures, la diversité culturelle les fait collaborer et vient adresser les problématiques structurelles de notre pays et ainsi encourager toujours plus d’égalité pour chacun et chacune.

Les bienfaits du management de la diversité culturelle

Le management de la diversité culturelle reconnaît et valorise les différentes cultures présentes au sein d'une entreprise, qu'elles soient issues de standards majoritaires ou minoritaires, et assure un traitement équitable qui préserve le bien-être de l’ensemble des individus. Il a de nombreuses autres vertus dans l’entreprise :

  • Il favorise l'innovation et la créativité. La diversité culturelle apporte des perspectives différentes, des expériences variées et des idées novatrices. En encourageant la représentation entre personnes de cultures différentes, elle stimule l'innovation et la créativité au sein de l'entreprise.
  • Il renforce la compétitivité. Une entreprise qui valorise la diversité culturelle est mieux préparée à s'adapter à des marchés mondiaux en constante évolution. Grâce à la diversité de ses effectifs, elle est en mesure de comprendre et d'anticiper les besoins et les attentes des consommateurs et des consommatrices aux identités diverses, renforçant ainsi sa compétitivité sur les marchés internationaux.
  • Il accroît la satisfaction et la fidélité des employé·es. Ces derniers se sentent plus engagés et motivés lorsqu'ils sont valorisés pour leurs compétences et leurs contributions, quelle que soit leur origine culturelle.

Une gestion efficace de la diversité culturelle crée donc un environnement de travail dynamique, innovant et respectueux pour ses employé·es, propice à la croissance de l'entreprise.

Concrètement, comment se traduit cette approche ? Voici quelques exemples d'entreprises qui ont promu des programmes de diversité culturelle novateurs :

  • Accorder des congés religieux pour les fêtes non reconnues par le calendrier national : Si un·e salarié·e souhaite s'absenter pour une fête religieuse, les entreprises peuvent accorder des autorisations spéciales d'absence pour les principales fêtes religieuses, allant de 1 à 3 jours. Ce type de programme encourage également la découverte et une meilleure compréhension des pratiques, coutumes et croyances de chacun·e. Ces autorisations peuvent également susciter des discussions constructives entre collègues sur le sujet de la religion, conduisant à une plus grande ouverture d'esprit et contribuant à un environnement de travail plus inclusif et harmonieux.
  • Mettre en place des processus de recrutement inclusifs pour les candidat·es et les employé·es neurodivergent·es : 15 à 20 % de la population mondiale est neurodivergente et connaît des taux de chômage proportionnellement plus élevés (1). Aux États-Unis, par exemple, 2 % des adultes sont autistes. Cependant, parmi ce groupe, 42 % sont au chômage contre un taux de chômage moyen d'environ 5 % pour l'ensemble de la population. La mise en place de programme facilitant l'embauche, la formation et l'intégration des personnes neurodivergentes augmente significativement les taux de rétention des personnes recrutées par le biais de ces programmes, ainsi qu'une productivité, une qualité de travail et une ponctualité 1,2 à 1,4 fois plus élevées pour les équipes composées de personne neurodivergentes.
  • Réduire les risques pour les personnes transgenres et non-binaires : Les employé·es transgenres et non binaires sont exposé·es à des risques supérieurs en matière de santé physique, mentale et économique. En conséquence, il est possible de mettre en place des politiques volontaristes pour ces employé·es afin de réduire ces trois risques au sein d’une entreprise en mettant en place des procédures d’accompagnement à la transition de genre, en formant les salarié·es à l’identité de genre, en accordant des congés exceptionnels pour les personnes en transition de genre en labelisant comme étant « neutres » des espaces comme les toilettes et les vestiaires.
  • Supporter les enjeux de la mobilité sociale : Les 10 % de travailleur·euses les mieux payé·es dans le monde en moyenne, gagnent six fois plus que les 50 % les moins bien payé·es (2). Supporter les enjeux d’une mobilité sociale, c’est par exemple permettre à des étudiant·es issu·es de zones socio-économiquement défavorisées de suivre des programmes de formation professionnelle. Par ailleurs, il est essentiel d’apporter une attention particulière aux profils particulièrement touchés par l'immobilisme socio-économique des pays concernés, et d’avoir une approche intersectionnelle.
  • Faire cohabiter le dialogue intergénérationnel : Entre 2015 et 2020, 5 millions de seniors ont quitté le marché du travail français, tandis que 6 millions de jeunes y sont entrés. C'est donc un véritable changement de génération qui s'est opéré. Mais c'est surtout un fait nouveau : 4 générations cohabitent désormais dans les entreprises. Les entreprises peuvent donc intégrer la diversité intergénérationnelle dans les politiques de diversité culturelle. Il est également possible de porter la dimension intergénérationnelle dans les relations à l'extérieur du Groupe, dans les projets associatifs et citoyens soutenus par les entreprises et dans les offres développées pour leurs clients.

Tous ces exemples démontrent que les entreprises françaises peuvent aller au-delà du modèle américain en mettant en avant la diversité culturelle comme un atout majeur pour leur développement.

Marie-Sixtine Bergeret

Consultante EQUILIBRES

Alice Hamelin

Consultante confirmée EQUILIBRES

SOURCES

  1. Doyle, Nancy, “Neurodiversity at Work”, British Medical Bulletin, vol. 135, no. 1, 2020, pp. 108-125.Centers for Disease Control and Prevention (CDC), “Key Findings: CDC Releases First Estimates of the Number of Adults

    Living with Autism Spectrum Disorder in the United States”, 7 April 2022.

    Singh, Maanvi, “Young Adults with Autism More Likely to Be Unemployed, Isolated”, NPR, 21 April 2015.

    United States Department of Labor Bureau of Labor Statistics, “U-3 and U-6 Unemployment in 2015”, 2016.

  2. World Inequality Lab, “World Inequality Report 2022”, 2022.