Harcèlement sexuel : comment la culture organisationnelle peut-elle garantir la santé et la sécurité au travail ?
La Journée mondiale de la Sécurité et de la Santé au Travail est, depuis 2019, l’occasion de réfléchir aux pratiques professionnelles mises en place afin de promouvoir des environnements de travail sûrs et sereins. Et ce, dans un contexte où l’on demande de plus en plus aux entreprises de s’impliquer sur les sujets de bien-être et bien-vivre ensemble au travail. A titre d’exemple, selon la 2022 Work and Well Being Survey de l’American Psychological Association [1] 81% des répondant·es ont déclaré que le positionnement des employeurs en matière de santé mentale sera un élément important dans leur recherche d'emploi future. Ainsi, la santé et la sécurité au travail sont désormais des leviers de marque employeur et de fidélisation des talents sur lesquels les employeurs peuvent agir.
Pourtant, parmi les risques liés à la santé et la sécurité au travail en figure un particulièrement polarisant : le harcèlement sexuel. Prévenir et lutter contre le harcèlement sexuel au travail, c’est bien sûr répondre aux obligations légales de santé et de sécurité au travail. Mais c’est aussi garantir des conditions de travail optimales au bien-être et donc à la productivité de chacun·e. Plusieurs études ont déjà démontré, par exemple, que les victimes de harcèlement sexuel au travail sont plus susceptibles de rapporter des symptômes dépressifs, d’être absentes, et d’exprimer des intentions de quitter l’entreprise [2]. Enfin, le harcèlement sexuel présente un enjeu réputationnel majeur sur lequel les employeurs se doivent de rester vigilants.
Pourtant, nous sommes confronté·es à un constat alarmant : selon une étude de l’IFOP en 2014 [3],
70% des cas de harcèlement sexuel ne sont pas signalés à l’employeur.
Il est possible que depuis #MeToo et le début de la levée du tabou sur ce sujet ces chiffres soient à la baisse, mais nous n’avons pas d’études plus récentes. Toujours est-il qu’aujourd’hui encore les employeurs n’ont connaissance que d’une partie des cas de harcèlement sexuel ayant lieu au travail.
A partir de ce constat, un paradoxe apparaît : comment l’employeur peut-il donc garantir la santé et la sécurité de ses collaborateur·rices quand (1) tous les cas de harcèlement sexuel ne sont pas portés à sa connaissance et (2) lorsqu’il ne dispose pas, de ce fait, de la vue d’ensemble nécessaire pour construire un plan de prévention et d’action adapté [4] ?
Comment encourager la prise de parole et le signalement ?
Depuis quelques années, les chercheur·ses ont pu s’intéresser aux facteurs pouvant expliquer pourquoi la victime ne souhaite pas signaler un cas de harcèlement sexuel. Si l’on a pu s’intéresser en premier lieu à des facteurs de réticence individuels, les résultats de ces études sont toutefois variables et peu concluants. Par exemple, il a été observé dans une étude que les femmes plus âgées étaient plus susceptibles de signaler un cas de harcèlement sexuel [5], tandis qu’une autre, tout aussi significative, a pu montrer qu’au contraire, ce sont les femmes les plus jeunes qui sont plus les plus susceptibles de remonter un signalement [6]. Ainsi, il est recommandé de s’intéresser davantage au contexte organisationnel des entreprises. De surcroit, ces derniers sont même plus consistants et fiables pour expliquer la volonté d’un·e collaborateur·rice de signaler un cas ou non. Aborder les facteurs organisationnels présente aussi comme avantage le fait qu’il est plus aisé de changer une culture organisationnelle, que des comportements individuels pris un par un [7].
Parmi ces facteurs organisationnels [8], nous pouvons retrouver et donc agir sur :
- Le climat de tolérance concernant les violences sexistes et sexuelles (VSS) : c’est la perception qu’ont les collaborateur·rices de la tolérance - ou non - de l’entreprise vis-à-vis des VSS. Plusieurs études montrent qu’un climat tolérant inhibe les signalements, tandis qu’un climat intolérant les encourage. Ainsi afin de favoriser la prise de parole et donc la remontée des situations, l’employeur se doit donc d’afficher et de pratiquer une tolérance zéro sur les VSS, dans toutes ses procédures et dans sa politique.
- La justice organisationnelle : la perception de justice au sein de l’organisation par les collaborateurs est importante, car une perception d'injustice engendre chez les victimes et les témoins la crainte de ne pas être cru·es et surtout de subir des représailles. L’employeur se doit donc de respecter des procédures claires, standardisées et justes, notamment dans les enquêtes et les sanctions disciplinaires éventuelles des auteur·es de comportements inappropriés.
- La confiance dans le management : il a été montré que lorsque les employé·es ont confiance dans la façon dont leurs managers vont traiter leur signalement, ils et elles sont plus enclin·es à rapporter leur cas de harcèlement sexuel. En clair, il est nécessaire de mettre en place une culture managériale qui favorise la prise de parole. Il est également nécessaire de former les managers à la prévention et la prise en charge des signalements de VSS.
- Le soutien des collègues : le non-signalement résulte souvent de la peur d’être exclu ou ostracisé par ses collègues. Par peur du collectif, la victime ou le témoin va donc éviter de rapporter les VSS auprès de son employeur. Il est donc préconisé de sensibiliser et de former l’ensemble de ses équipes aux VSS afin de créer un socle commun favorable à la prise de parole sur ce sujet.
L’ensemble de ces facteurs va ainsi permettre aux victimes et témoins de déterminer si le signalement aura des conséquences positives ou négatives. Si les conséquences semblent plus négatives que positives, ils et elles seront ainsi moins enclin·es à remonter leur cas de harcèlement sexuel auprès de leur employeur.
En conclusion, garantir la santé et la sécurité au travail relève bien de la responsabilité de chacun·e au sein de l’entreprise. Toutefois les employeurs ont également leur part de responsabilité dans la mise en place d’une culture organisationnelle favorisant la santé et la sécurité de ses collaborateur·rices. Enfin, rappelons tout de même que le harcèlement sexuel entraîne des conséquences délétères pour l’employeur et les organisations, mais aussi, et surtout, chez les victimes.
Riananja Andriamifidy
Consultant stagiaire
EQUILIBRES
Sources :
[1] American Psychological Association (Ed.). (2022). Workers appreciate and seek mental health support in the Workplace. American Psychological Association. https://www.apa.org/pubs/reports/work-well-being/2022-mental-health-support
[2] Vijayasiri, G. (2008). Reporting sexual harassment: The importance of organizational culture and trust. Gender Issues, 25, 43-61. https://doi.org/10.1007/s12147-008-9049-5
[3] Enquête sur le harcèlement sexuel au travail, réalisée par l’IFOP du 15 au 24 janvier 2014 pour le compte du Défenseur des droits.
[4] Perry, E. L., Kulik, C. T., Golom, F. D., & Cruz, M. (2019). Sexual harassment training: Often necessary but rarely sufficient. Industrial and Organizational Psychology, 12(1), 89–92. https://doi.org/10.1017/iop.2019.15
[5] Rudman, L. A., Borgida, E., & Robertson, B. A. (1995). Suffering in silence: Procedural justice versus gender socialization issues in university sexual harassment grievence procedures. Basic and Applied Social Psychology, 17(4), 519-541. https://doi.org/10.1207/s15324834basp1704_6
[6] Terpstra, D. E., & Cook, S. E. (1985). Complainant characteristics and reported behaviors and consequences associated with formal sexual harassment charges. Personnel Psychology, 38(3), 559-574. https://doi.org/10.1111/j.1744-6570.1985.tb00560.x
[7] Perry, E. L., Kulik, C. T., Golom, F. D., & Cruz, M. (2019). Sexual harassment training: Often necessary but rarely sufficient. Industrial and Organizational Psychology, 12(1), 89–92. https://doi.org/10.1017/iop.2019.15
[8] Clarke, H. M. (2014). Predicting the decision to report sexual harassment: Organizational influences and the theory of planned behavior. Journal of Organizational Psychology, 14(2), 52.