« Le sexisme répété est désormais un risque pour la santé au travail au même niveau que le harcèlement sexuel »

Les deux consultantes Alice Marchionno et Julie Peigné expliquent, dans une tribune au « Monde », que la tolérance zéro pour le sexisme au travail, qui pourra se solder par des sanctions allant jusqu’au licenciement, sera en vigueur à partir de mars 2022.

Tribune. Les enquêtes menées depuis 2014 par le Défenseur des droits, le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et, plus récemment, la Fondation Jean Jaurès le montrent : le sexisme au travail est aujourd’hui encore une réalité et il entraîne des conséquences néfastes, pour les victimes bien sûr, mais aussi pour l’organisation collective.

La notion d’agissement sexiste est certes entrée dans le code du travail en 2015, mais il aura fallu plusieurs années de maturation pour finalement considérer les comportements et propos sexistes comme un véritable risque professionnel, au même titre que le harcèlement sexuel. En effet, si les discours sur la tolérance zéro et la libération de la parole se multiplient dans les médias, peu nombreux sont les entreprises et les organismes publics à avoir mis en place une politique de prévention et une procédure de traitement du sexisme en entreprise.

Cette lente prise de conscience a franchi un nouveau cap avec la loi sur la santé du 2 août 2021, grâce à l’élargissement de la notion de harcèlement sexuel au travail. Si aujourd’hui le harcèlement sexuel se manifeste par « des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante », à partir de mars 2022, « les propos ou comportements à connotation sexiste répétés » seront également susceptibles d’être qualifiés de harcèlement sexuel au travail.

Ainsi, si les notions de violence sexiste et violence sexuelle restent conceptuellement distinctes – la première se traduisant par une conduite dévalorisante ou humiliante basée sur les stéréotypes de genre, la seconde par des propos ou comportements sexualisant la personne ou la réifiant en objet sexuel –, cette nouvelle définition du harcèlement sexuel pointe du doigt le danger que peuvent représenter les agissements sexistes quand ils deviennent systémiques.

Une communication claire

Pourquoi élever les agissements « sexistes » répétés au même rang que les agissements « sexuels » répétés ? La logique sous-jacente est de s’attaquer aux comportements irrespectueux quotidiens et banalisés, tels que les remarques ou blagues sexistes, pour créer une culture du respect et de l’inclusion. Ce faisant, il s’agit de prévenir efficacement la potentielle dérive vers des comportements plus graves et nocifs qui pourraient affecter les femmes comme les hommes au travail, en tant que victimes ou témoins.

La logique sous-jacente est de s’attaquer aux comportements irrespectueux quotidiens et banalisés, tels que les remarques ou blagues sexistes, pour créer une culture du respect et de l’inclusion

Quels changements pour l’employeur ? Depuis quelques années, un nombre croissant d’entreprises et d’organismes publics s’attaquent aux agissements sexistes et au harcèlement sexuel, réfléchissent à leur politique de prévention et définissent leur procédure interne. Ces bonnes pratiques vont non seulement devoir être généralisées, mais aussi renforcées et mieux communiquées.

A partir du 31 mars 2022, afin de respecter les obligations de santé et de sécurité à l’égard des collaborateurs et collaboratrices, l’employeur devra ainsi accorder une plus grande importance et une meilleure visibilité à la lutte contre les agissements sexistes, à la fois dans les relations individuelles et également dans les dynamiques collectives de groupe. Le sexisme répété ou systémique étant désormais un risque pour la santé au travail au même niveau que le harcèlement sexuel, l’employeur devra adapter sa politique de prévention et sa procédure de traitement en conséquence.

Comment agir concrètement ? Tout d’abord, pour que la dynamique de changement soit efficace, la direction et l’encadrement se doivent d’incarner la démarche de prévention et d’afficher le portage politique. Cela peut se traduire par une communication claire contre les violences sexistes et sexuelles au travail et également par un discours et une posture exemplaires et irréprochables.

Bienveillance et respect mutuel

Ensuite, l’ensemble des parties prenantes de la prévention, tels que le service des ressources humaines, les membres du comité social et économique (CSE) et l’encadrement, doivent se faire les relais de l’information et de la sensibilisation des collaborateurs et collaboratrices. En effet, la pédagogie est essentielle pour accompagner le changement des mentalités et des pratiques afin de créer un climat de confiance et de s’assurer que la parole sera libre et écoutée.

Enfin, la procédure de traitement des signalements, qui doit être claire, encadrée et partagée, se devra d’intégrer dorénavant tous les agissements répétés, qu’ils soient sexistes ou sexuels. Par conséquent, les agissements sexistes répétés pourront fonder le déclenchement d’une enquête et des sanctions disciplinaires graves au même titre que le harcèlement sexuel.

Cela représente une nouveauté significative autant pour la direction que pour les potentiels auteurs : jusqu’à présent, les propos ou comportements sexistes étaient souvent suivis par du simple recadrage managérial et, si particulièrement offensants ou humiliants, sanctionnés par des avertissements ou des blâmes. Or, à partir de mars 2022, les agissements sexistes, en cas de répétition, pourraient se solder par des sanctions plus lourdes, y compris le licenciement.

Bien évidemment, il faudra s’assurer d’une cohérence dans le traitement des situations afin que les solutions apportées soient toujours justifiées et proportionnées aux écarts constatés, le but de toute politique de prévention et de traitement étant de promouvoir une culture du respect et d’inclusion au travail.

En définitive, l’entrée en vigueur de la loi peut nous pousser à transformer la contrainte en opportunité, à refonder les relations interpersonnelles et professionnelles sur la bienveillance et le respect mutuel, afin que le travail collectif soit source de performance et d’épanouissement personnel pour chacun et chacune.

Alice Marchionno

Consultante senior

Julie Peigné

Consultante