Le 8 mars est un jour idéal pour percuter l’illusion de l’égalité !

Journée des femmes

Le 8 mars 1917, à Saint Pétersbourg, les femmes manifestent pour réclamer du pain et le retour de leurs maris partis au front. C’est le premier jour de la Révolution Russe. C’est aussi le début de la tradition de la Journée internationale des droits des femmes, qui attendra tout de même 60 ans pour être reconnue officiellement par les Nations Unies, avant de l’être en France en 1982.

Plus qu’une commémoration, la date du 8 mars est l’occasion de faire le bilan sur la situation des femmes dans notre société actuelle, notamment dans le monde du travail.

Au détour de nos interventions au sein des organisations, il n’est pas rare d’entendre des propos du type « L’égalité femmes-hommes, ce n’est plus un sujet : c’est réglé ! », « C’est une cause acquise ! » … Mythe ou réalité ?

Aux yeux de la loi, depuis la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, nous disposons des mêmes droits. Depuis 1946, l’égalité femmes-hommes est même un principe constitutionnel : la loi garantit aux femmes dans tous les domaines des droits égaux à ceux des hommes. C’est ce qu’on appelle l’égalité formelle, principe fondamental qui n’a cessé d’être rappelé depuis par le corpus législatif pour l’égalité professionnelle.

Mais dans les faits, qu’en est-il ? Cette réalité formelle se traduit-elle par une égalité réelle dans le monde du travail ?

Le droit réel de choisir sa voie ?

En France, comme dans les autres pays économiquement développés, les femmes et les hommes se concentrent dans des métiers et des secteurs d’activité différents : seulement 17% des métiers sont réellement mixtes. Fortement sur-représentées dans les domaines sanitaire, social et éducatif, les femmes sont au contraire minoritaires dans les secteurs du BTP, de l’industrie et de la technologie, souvent plus rémunérateurs.

A la découverte de ce constat, certaines critiques fusent : « On ne peut quand même pas forcer les filles à faire des études scientifiques ou techniques si elles n’en ont pas envie ? ». Mais le choix de l’orientation est-il vraiment exempt de tout biais inconscient ?

Libres de chosisir sa voie ?

Comme chacun et chacune d’entre nous, nos filles et nos fils, subissent, sans le savoir, l’influence des stéréotypes de genre et des préjugés culturels, qui ancrent dans les esprits l’idée selon laquelle il existe des métiers d’hommes et des métiers de femmes. Approche essentialiste qui entrave le libre choix pour son futur professionnel.

Il ne s’agit pas ici de forcer les filles à devenir ingénieures, chercheuses ou programmeuses mais de leur ouvrir le champ des possibles.

Evidemment, tout ne repose pas sur les organisations : c’est tout l’environnement socio-culturel qui doit se mobiliser pour contre-carrer les stéréotypes de genre. L’éducation parentale et scolaire, les média, la publicité, le monde politique… sont bien sûr au cœur de cette démarche inclusive.

Mais le monde du travail a un rôle majeur en la matière, à travers…

  • des actions de formation, pour faire prendre conscience aux collaborateur·rice·s qu’en tant qu’êtres humains, nous avons tous et toutes des stéréotypes mais qu’il est de notre devoir ne pas nous laisser dicter nos décisions et comportements par ces derniers
  • des programmes visant à encourager la mixité dans les métiers (découverte métiers, formations et reconversions techniques à destination des femmes, objectifs de recrutement paritaires…)
  • la mise en avant de role models féminins dans des métiers traditionnellement masculins et inversement

Le droit réel d’évoluer professionnellement ?

Le plafond de verre, cette barrière invisible qui empêche les femmes de gravir les échelons hiérarchiques, reste aujourd’hui encore une réalité dans bon nombre d’organisations.

La loi Copé-Zimmermann, qui pour rappel imposait un seuil minimal de 40% de femmes au 1er janvier 2017 aux conseils d’administration des entreprises cotées ou de plus de 500 salarié·e·s, a certes atteint son objectif. Alors que les femmes représentaient en 2011 moins de 10 % des membres des conseils d’administration du SBF 120, elles en occupent aujourd’hui 45% des sièges, positionnant ainsi la France à la 1ère marche du podium européen (30% en moyenne).

Mais l’effet de ruissellement attendu sur les autres instances de direction, à savoir les comités exécutifs ou comités de direction, qui représentent les véritables lieux de pouvoir décisionnel des entreprises, n’a pas eu lieu. Ainsi, les femmes ne représentent que 21% des membres de COMEX/CODIR du SBF 120 alors même qu’elles constituent 38% du vivier des cadres.

Les organisations se doivent de garantir aux femmes les mêmes opportunités d’évolution que celles offertes aux hommes, en…

  • garantissant des process RH objectifs, exempts de tout biais potentiellement discriminants et ce, tout au long de la trajectoire professionnelle
  • renforçant l’accompagnement des talents féminins, via des programmes de mentoring, de formation ou encore de coaching
  • inscrivant la mixité, et plus globalement l’inclusion, comme une valeur forte et incontournable de la culture d’entreprise et comme une compétence managériale

Le droit réel à « un salaire égal pour un travail égal » ?

Balance égalité salariale

Le principe "à travail égal, salaire égal" a été énoncé pour la première fois dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. L’égalité salariale entre femmes et hommes plus précisément est, quant à elle, inscrite dans la loi depuis 1972.

Presque 50 ans plus tard, dans sa dernière étude portant sur l'année 2017, l'Insee montrait que les femmes salariées du secteur privé gagnent en moyenne 16,8 % de moins que les hommes, en équivalent temps plein.

Toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire à postes équivalents, cet écart s’établit à 5,3%. Ces différences sont encore plus marquées dans la population des cadres et tendent également à se creuser en fonction du nombre d’enfants.

La lutte contre les inégalités salariales implique, notamment, de mettre en place au sein des organisations…

  • une négociation collective avec définition d’objectifs chiffrés, d’indicateurs de suivi et de mesure de correction en cas d’écart constaté
  • un suivi précis et rigoureux des écarts, en analysant l’ensemble des éléments constitutifs de la rémunération (part variable, primes, bonus… dont on sait qu’ils constituent souvent la face cachée des inégalités)
  • la garantie de l'égalité salariale femmes-hommes pour les nouvelles embauches
  • la prévention de tout impact négatif des absences liées à la parentalité sur l’évolution de la rémunération

Le droit réel de travailler en toute sécurité ?

En 2019, une étude menée par l’IFOP à l’échelle européenne dévoilait le fait que 55% des femmes françaises interrogées rapportaient avoir été déjà victimes d’au moins une forme de sexisme ou de harcèlement sexuel au cours de leur vie professionnelle.

Parfois les faits rapportés paraissent presqu’anodins : une blague lancée dans l’open space sur l’incompétence notoire des femmes en informatique, une remarque appuyée sur la robe particulièrement seyante de Stéphanie, une allusion mordante sur la nouvelle grossesse de Virginie… Autant de petites manifestions du sexisme ordinaire auxquelles on ne prête même plus attention tellement elles font partie de notre quotidien mais qui, sur la durée, ancrent un climat d’infériorisation et de délégitimation des femmes, avec toutes les conséquences toxiques que cela peut avoir sur leur santé psychologique et sur le collectif de travail dans son ensemble.

Parfois les faits sont plus graves : sifflements ou gestes grossiers, propos obscènes ou écrits à connotation sexuelle, voire contacts physiques imposés ou encore chantage sexuel… Et dans 70% des cas, la victime n’en parlera pas, par peur de ne pas être entendue, de ne pas être crue, par peur des conséquences que cela pourrait avoir.

Il est encore utile aujourd’hui de rappeler que les agissements sexistes, le harcèlement moral discriminatoire en raison du sexe ou encore le harcèlement sexuel sont des risques psychosociaux qui, au même titre que les autres risques professionnels, rentrent pleinement dans le cadre de l’obligation générale de sécurité qui incombe à l’employeur. Cela passe par la mise en place de mesures de…

  • prévention à travers notamment des actions de sensibilisation et de formation des équipes (avec une attention toute particulière apportée à la formation des Référente·s harcèlement sexuel et agissements sexistes), permettant de donner un socle commun de connaissances sur le sujet des violences sexistes et sexuelles. La communication interne se doit également de relayer ce message de tolérance 0 à l’égard de ces agissements.
  • traitement : des procédures de signalement et de traitement des cas doivent être instaurées et communiquées massivement dans l’organisation afin d’être connues de tous et toutes. En parallèle de cela, une cellule d’écoute psychologique peut offrir aux victimes et témoins de ces agissements une aide précieuse
  • sanction : si après enquête, qu’elle soit interne ou, comme c’est de plus en plus recommandé, diligentée auprès d’experte·s externes, les faits signalés sont avérés, les sanctions doivent être prononcées, en gage d’exemplarité

Le droit réel de ne pas avoir à choisir entre sa vie personnelle et sa vie professionnelle ?

Selon l’enquête emploi du temps Insee, qui se tient tous les 10 ans (l’édition 2010 est la plus récente), les femmes consacrent en moyenne 3h26 par jour aux tâches domestiques (ménage, courses, soins aux enfants, etc.). Les hommes y consacrent 2 heures.  Ramenée à un mois, cette différence représente une semaine de travail en plus, non rémunérée de surcroît, pour les femmes.

Evidemment, les entreprises ont peu de marge de manœuvre sur cette inégalité domestique : après tout, cela reste de l’ordre de la sphère privée. Mais sachant que les frontières entre la vie personnelle et la vie professionnelle sont de plus en plus floues, d’autant plus en cette période de crise sanitaire où le télétravail est la norme, les organisations ont le pouvoir - voire le devoir - d’être agentes de transformation :

  • La sensibilisation et la formation des équipes sur les stéréotypes de genre et leur impact délétère sur les femmes comme sur les hommes : prendre conscience de ces biais inconscients a des conséquences cognitives et comportementales qui dépassent le cadre professionnel et rayonnent positivement sur toutes les sphères de vie
  • La promotion de nouveaux modes de travail, plus flexibles et moins rigides, détachés de la culture du présentéisme, et qui, en période de crise sanitaire, ont montré toute leurs efficacité et pertinence.

Au regard de tout cela, il apparaît clairement que l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes reste encore une illusion et ce, malgré le corpus législatif qui n’a cessé de se renforcer depuis des décennies. Pour autant il s’agit de ne pas céder à la tentation facile de la « gender fatigue », défini en 2009 par Elisabeth Kelan, professeure à l’Université de Cranfield, comme le «phénomène par lequel s’épuise l’énergie d’agir pour faire du lieu de travail un espace neutre, alors même que les discriminations ont encore cours».

Les entreprises peuvent et doivent poursuivre leurs efforts pour faire du monde du travail un monde d’égalité réelle. Il leur faut pour cela agir de façon systémique, en attaquant de front les différents freins à l’égalité :

Freins à l'égalité
  • Freins socio-culturels :
    • sensibiliser le collectif de travail aux stéréotypes qui constituent le terreau des discriminations (de genre comme de tout autre critère d’ailleurs)
    • infuser du principe d’égalité dans la culture et les valeurs de l’entreprise
  • Freins organisationnels :
    • garantir des process RH objectifs et non discriminants
    • mettre en place des procédures de signalement et de traitement
    • instaurer des pratiques managériales inclusives
    • mesurer régulièrement les avancées à travers le suivi d’indicateurs de performance
  • Les freins individuels :
    • Accompagner les collaborateurs et collaboratrices dans la mise à jour de leurs biais inconscients afin de permette l’avènement de l’inclusion dans les équipes
    • Apporter une attention toute particulière à l’accompagnement des managers qui portent la lourde responsabilité de faire vivre cette égalité au quotidien dans les équipes
    • Accompagner les talents féminins dans l’affirmation de leur potentiel et de leur ambition
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Leslie Chaffot,

Senior Manager chez EQUILIBRES