Être ou ne pas être soi-même : masking, code-switching et bien-être au travail

Plusieurs études ont démontré que pouvoir être authentique et soi-même au travail favorise non seulement le bien-être, mais aussi une progression professionnelle vertueuse. (Cha et al., 2019; Roulin & Krings, 2020).
Pourtant, de nombreux·ses employé·es dissimulent encore aujourd’hui certaines facettes de leur identité pour paraître plus professionnel·les, mieux s’intégrer dans un collectif de travail ou éviter d’être stigmatisé·es, voire agressé·es. Ce phénomène peut concerner l’apparence physique, la manière de communiquer ou encore le mode de travail.
Les chiffres sont éloquents. Le Haut Conseil à l’Égalité (2024) rapporte que 9 femmes sur 10 ont déjà renoncé à certaines actions ou modifié leur comportement pour éviter d’être victimes de sexisme. Un rapport de l’Autre Cercle (2024) révèle que 41 % des femmes lesbiennes ou bisexuelles prétendent être en couple hétérosexuel afin d’échapper à la discrimination. De l’autre côté de l’Atlantique, une étude étasunienne rapporte que 35% des employé·es noir·es modifient leur façon de parler et leur apparence physique pour correspondre aux normes dominantes de l’environnement de travail (The Harris Poll with Indeed, Fortune & USA Today, 2024). Enfin, une étude scientifique révèle que 70% des adultes autistes masquent leurs traits neurodivergents (Cage & Troxell-Whitman, 2019).
Ce phénomène d’adaptation, qui consiste à minimiser certains traits au profit d’autres jugés plus acceptables socialement, relève des notions de masking et de code-switching.
Masking et code-switching : de quoi parle-t-on ?
Le masking ou camouflage social, consiste à cacher des aspects de son identité ou de son comportement pour se conformer à des attentes sociales (Mandy, 2019). Cette stratégie est particulièrement utilisée par les personnes neurodivergentes, qui cherchent ainsi à masquer leurs traits spécifiques pour apparaître comme neurotypiques et éviter la stigmatisation. Cela peut, par exemple, se traduire par le fait de taire son inconfort ou son mal-être lors d’une surcharge sensorielle.
Le code-switching consiste à modifier son comportement, à travers l’assimilation des normes, pratiques et caractéristiques d’un groupe, généralement dominant, pour obtenir des bénéfices sociaux ou professionnels (Santiago, Nwokoma & Crentsil, 2021). Un exemple de cette pratique peut se retrouver dans le film Sorry To Bother You (2018), où Cassius Green, un télévendeur noir, constate que ses ventes explosent lorsqu’il adopte selon lui une « voix de blanc ».
Ces deux stratégies, bien que similaires, se distinguent dans leurs modalités : le masking se concentre sur le fait de cacher certains traits tandis que le code-switching vise à modifier volontairement ces traits. Toutefois, leur objectif reste le même : se protéger et se positionner favorablement dans le collectif de travail, en évitant la stigmatisation et en maximisant ses chances d’acceptation, voire de valorisation.
Impact du masking et du code-switching sur la santé mentale au travail
Si le masking et le code-switching permettent souvent d’éviter la stigmatisation, les discriminations et les agressions sources évidentes de mal-être, ils ont néanmoins un impact délétère sur la santé mentale des salarié·es.
Ces stratégies soulèvent une problématique plus profonde : l’idée que certaines identités ou caractéristiques seraient perçues comme non désirables dans le contexte professionnel. Cela touche directement à l’identité même des individus, ce qui en fait aussi une question de menace de l’identité sociale.
L’identité sociale peut être définie comme la conscience qu’a un individu d’appartenir à un groupe social et la valeur émotionnelle associée à cette dite appartenance (Tajfel & Turner, 2004). Ces groupes peuvent être, par exemple, les personnes noires, les femmes ou encore les personnes neurodivergentes. La menace d’identité sociale, quant à elle, peut être définie comme l’expérience psychologique où les individus se sentent négativement évalués ou stigmatisés à cause de leur identité sociale (Mackey & Rios, 2023; Veldman et al., 2021).
Les conséquences de cette menace sur la santé sont significatives : baisse de l’estime de soi et du sentiment d’appartenance (Froelich et al., 2024), sentiment d’isolement (Veldman et al., 2021), risque accru de burnout (Hall, Schmader & Croft, 2015), baisse de la performance (Emerson & Murphy, 2014) entre autres effets négatifs.
Comment promouvoir un environnement de travail inclusif et respectueux de l’identité ?
Pour répondre à son obligation de protéger la santé physique et mentale de ses travailleur·ses (Art. L. 4121-1 du Code du Travail), l’employeur se doit de garantir un cadre de travail inclusif, dans lequel les collaborateur·rices ne ressentent pas la nécessité d’avoir recours au masking ou au code-switching.
Voici des pistes d’actions concrètes :
- Afficher de façon explicite son engagement envers l‘inclusion de tous et toutes, et affirmer une politique de tolérance zéro vis-à-vis des discriminations.
- Valoriser l’authenticité et la diversité comme des valeurs fondamentales dans l’organisation.
- Sensibiliser les équipes à la prévention des discriminations et violences au travail, et intégrer ces notions dans les formations internes.
- Accompagner les managers via des formations en management inclusif, pour instaurer une culture bienveillante et sécurisante.
- Mettre en place des espaces de parole et de soutien (référent·es, groupes d’échange, lignes d’écoute, dispositifs de signalement).
- Intégrer des questions sur le sentiment d’intégration et l’identité au travail dans les enquêtes internes.
En agissant sur ces leviers, l’employeur contribue activement à un cadre de travail respectueux et inclusif, bénéfique à l’ensemble de ses équipes. Il permet ainsi à l’ensemble des collaborateur·rices de venir comme il ou elle est au travail, favorisant ainsi bien-être, bien-vivre ensemble et performance au sein de l’organisation.

Article rédigé par Riananja Adriamifidy,
consultant chez Equilibres